Autour de la colonne
La
Colonne, qui s'élève route de Brumath, constitue un précieux témoignage de
l'histoire de notre village. Elisabeth Bernhard nous conte ici l'origine de cet
ouvrage et son évolution au fil du temps.
Quel ne fut pas mon étonnement au cours de l'été
2001, de retour de la déchetterie du Waldeck, de constater que la colonne de la
route de Brumath était en train d’être démontée ! Renseignements pris, il ne
s'agissait pour elle que de retrouver une nouvelle jeunesse auprès d’une
entreprise spécialisée, les ans ayant laissé leur empreinte sur la fragile
pierre de grès. Initiateur de cet ouvrage, Paul Adrien de Lezay‑Marnésia,
originaire du Jura, Préfet du Bas‑Rhin de 1810 à 1814, a laissé dans le
département dont il fut l’administrateur pendant une période relativement brève
un souvenir non négligeable. Un quai de Strasbourg porte son nom, quai allant
du Pont du Théâtre au Pont Saint-Étienne, sur lequel donne le jardin de
l'actuel Hôtel du Préfet. Sa statue en pied se trouve à l'angle de la Place du
Petit Broglie et du quai à son nom, un peu masquée par la verdure.
Du fait de son intérêt pour l'agronomie et de sa
générosité due à un esprit profondément religieux (Roland Marx) il s’appliquera
à soulager la misère des paysans en ces temps troublés, à développer
l'agriculture, notamment la culture du tabac et de la betterave sucrière ;
aussi l'appelait‑on le Préfet des Paysans.
Entre Strasbourg et
Mayence, la chaussée était un véritable « précipice »
Mais on l'appelait également le Préfet des Routes et
c’est ce point qui nous intéresse aujourd'hui. Par sa structure géographique
orientée Nord-sud, l'Alsace a toujours constitué une voie de passage, entre
l'Italie et la Flandre, au Moyen‑Age notamment. Conséquence du Blocus
Continental décrété par Napoléon à la fin de 1806 pour tenter de ruiner
l’Angleterre sur le plan commercial, les transports par voie terrestre
deviennent de plus en plus importants. Mais pour faire circuler charrettes et
charrois, marchandises et armées se rendant sur le terrain des opérations, il
fallait des routes en bon état et dans le Bas‑Rhin ce n'était de loin pas
le cas. Une certaine incurie administrative liée aux troubles de la période
révolutionnaire et au manque de crédits, de nombreux passages de troupes
avaient transformé les chaussées en véritables poudrières.
Strasbourg retrouve son rôle de carrefour et les
échanges avec l'Allemagne, vers Mayence en particulier, se multiplient. Mais la
chaussée entre les deux villes, passant par Haguenau et Landau, est un
véritable «précipice ».
Dès
son arrivée à Strasbourg, Lezay‑Marnésia prend deux types de mesures pour
remédier à ce triste état des choses. Des mesures administratives en premier
lieu, obligeant les collectivités locales à participer à l'entretien des voies
; des mesures de formation ensuite, instituant un corps de fonctionnaires
éduqués dans une école spécialisée installée à Strasbourg, responsables d'un
secteur déterminé, un canton en règle générale : les « Sous‑Directeurs de
Travaux Cantonnaux », d’abord appelés « piqueurs ».
Pour faire exécuter ces travaux Lezay, habile
politique, insuffle aux Alsaciens « la fierté d'une grande oeuvre à faire,
l'orgueil du travail accompli » F. L’Huillier). Il se rend en personne sur le
terrain, discute avec les paysans (son passage à l'Université de Göttingen lui
a donné une parfaite connaissance de la langue allemande ; de plus il comprend
le dialecte), explique les tenants et les aboutissants des tâches demandées.
Des travaux très importants sont réalisés sur tout le réseau routier, classé en
routes de 1ère catégorie (une seule route reliant Paris à
Strasbourg, entièrement remise en état en 1810 pour le passage de la future
impératrice Marie‑Louise venue de Vienne), 2ème et 3ème
catégorie et chemins vicinaux.
6 octobre 1810 : séance extraordinaire du Conseil Municipal
de Vendenheim
Une délibération du Conseil Municipal de Vendenheim,
réuni en séance extraordinaire le 6 octobre 1810 illustre de façon fort
intéressante ces affirmations.
En réponse à la circulaire du Préfet en date du 3
octobre « relative aux réparations des routes de seconde classe dans lequel le
Préfet demande à entendre les vœux des différentes communes bordières ou
usagères de ces routes », Vendenheim accepte d'effectuer des travaux sur la
route de Brumath, avec l'aide d'autres communes, à condition que le Préfet
demande à Hoenheim de rouvrir ses gravières et autorise Vendenheim à «emporter
sans payement le gravier nécessaire pour la réparation de la route parce que la
commune ne peut subvenir aux frais de leur achat », comme cela se pratiquait
avant la Révolution. Le Conseil, en accédant à l'invitation de M. le Préfet lui
témoigne en même temps sa reconnaissance pour les soins paternels qu'il prend
du bien-être de ses administrés qui feront tout ce qui lui fera plaisir».
Les routes bas‑rhinoises, témoins d’événements
heureux
Non content de remettre les routes en état, le
préfet attache une grande importance à leur ornementation : plantation
d'arbres, décoratifs ou fruitiers, construction de bancs reposoirs et de petits
monuments commémoratifs. La naissance du Roi de Rome en 1811 avait favorisé la
multiplication de ces bancs comportant une traverse horizontale où les femmes,
en route vers le marché, pouvaient déposer les paniers qu'elles portaient sur
la tête. C'est à la catégorie des monuments commémoratifs que se rattache celui
de Vendenheim, appelé soit colonne, soit pyramide, soit obélisque, selon que
l'on s'attache plus spécialement à l'une ou l'autre de ses caractéristiques.
De nombreux monuments émaillent encore de nos jours
les routes bas‑rhinoises, témoins d’événements heureux de cette période
troublée, réutilisation d'ouvrages déjà existants ou créations nouvelles.
Dans la première série se rangent les colonnes
doriques (chapiteau Plat) provenant du premier château des Rohan à Saverne,
détruit par un incendie en 1779. Il y en avait 12 à l'origine. Elles étaient
installées à différents carrefours ou dans la ville de Saverne même, achetées
par des municipalités. Beaucoup ont disparu, mais il en subsiste notamment une
sur la commune de Steinbourg et une autre sur celle d’Eckartswiller.
La colonne dite de Dorlisheim peut être rapprochée
des colonnes d'origine savernoise, bien qu'elle soit de type ionique (chapiteau
à volutes). Mais on connaît mal son origine et la présence d'un cadran solaire
à son sommet intrigue.
Sur ordre de Schulmeister « l’espion de l'Empereur»
L’agglomération strasbourgeoise recèle un certain
nombre de ces constructions utilitaires servant à indiquer les distances entre
les localités. De nombreuses inscriptions figurant sur ces colonnes ont
malheureusement disparu, martelées au cours des guerres successives qui ont
endeuillé l'Alsace après la période napoléonienne.
Place de l'Etoile se dresse une colonne indicative,
de type ionique comme celle de Dorlisheim, mais surmontée d'un globe en grès
rose avec une petite croix.
Au lieu‑dit « la colonne » à l'entrée Nord
d’Illkirch-Graffenstaden se dresse une autre colonne de grès rose qui a été déplacée
pour les besoins de Ia ligne du tram. Une autre colonne, sur la commune
d'Ostwald, est située à proximité d'une ferme dite « la Colonie » où « avait
été implantée une exploitation agricole de type social » (Y.Bonnel).
Deux monuments, improprement baptisés pyramides,
sortes d'obélisques à pointe tronquée se trouvent l'un au Sud, l'autre au Nord
de Strasbourg.
Le premier, situé au croisement de l’Avenue de
Colmar et de la Route de la Meinau, a été élevé sur l'ordre de Schulmeister «
l'espion de l'Empereur » pour indiquer la direction de son château à la
Canardière. Trois reliefs allégoriques illustrent à la fois le caractère et
l'action du célèbre agent secret, mort paisiblement dans son domaine en 1853,
après s'être retiré « des affaires ».
Lezay‑Marnésia, initiateur de la colonne de
Vendenheim
Venons en enfin au monument
érigé sur le territoire de Vendenheim. Pour marquer avec une certaine solennité
la réfection de
la route de Strasbourg à Landau en juin 1811 « Lezay‑Marnésia ordonne
l’érection de deux pyramides aux endroits primitivement les plus ruinés ‑
à la sortie de Vendenheim et entre Haguenau et Landau » (Y. Bonnel). Il ne
reste aucune trace du monument édifié entre Haguenau et Landau. Celui de
Vendenheim, par contre, n'a pas disparu. Il comporte deux inscriptions gravées
chacune dans un cartouche rectangulaire:
STRASSBURG
10,3 Km
BRUMATH
6,7 Km
Il comportait également une plaque énumérant les 48
communes qui avaient participé à la réfection de la route, à l'exception de
Mittelhausbergen, ainsi « mise à l'index ». Pourquoi ? La question reste
ouverte... La première mention de délibérations financières concernant un
problème de routes ne figure qu'en 1817 dans les registres du Conseil Municipal
de la commune citée. Cette inscription aurait disparu dès 1815, avec l'arrivée
des troupes étrangères en Alsace, consécutive au retour de Napoléon de l'île
d'Elbe.
Tragique ironie du sort, c'est sur cette même route
de Strasbourg à Landau, qui avait été l'objet de tous ses soins, que Lezay‑Marnésia
fut blessé mortellement dans... un accident de la circulation. Après la chute
de l’Empire, il continua à administrer le département. Lors de la visite en
Alsace du duc de Berry (fils de Charles X et héritier du trône) en 1814, il
l'accompagna jusqu'à Landau ; au retour, la voiture du Préfet se renversa, son
épée pénétra profondément dans sa chair et malgré les soins prodigués par un
médecin militaire russe, il succomba à ses blessures le 9 octobre 1814,
unanimement regretté par toute la population.
Elisabeth
BERNHARD (03/2002)
Références
bibliographiques
•
Registre des délibérations du Conseil Municipal
•
Article de Monsieur Joseph Steinmetz publié dans le journal municipal d'octobre
1995
•
Divers ouvrages et documents d'archives, la bibliographie complète étant
disponible auprès de la rédactrice